vendredi 8 octobre 2010

Bonaparte et la Campagne d'Egypte


La campagne d’Egypte (mai 1798–septembre 1801) marque une étape majeure dans la carrière du jeune Général Bonaparte, alors âgé de seulement vingt-huit ans. Si l’expédition militaire se révèle mitigée, l’Armée d’Orient alternant victoires éclatantes (bataille des Pyramides, Héliopolis…) et défaites retentissantes (bataille navale d’Aboukir, Canope…), l’étude minutieuse du pays par les savants et les artistes français signe une véritable révolution scientifique et culturelle. Nous vous proposons de revivre cette épopée extraordinaire, qui détermine le début d’une nouvelle ère dans les relations complexes entre Orient et Occident.


A l’origine : des motivations multiples

1798 : la France révolutionnaire est toujours en guerre contre l’Angleterre, son ennemi héréditaire, et le régime doit faire face aux menaces jacobines et royalistes qui cherchent quotidiennement à déstabiliser le pouvoir en place. Le Général Bonaparte jouit pour sa part d’une popularité grandissante, fraîchement auréolé de succès dans une première campagne d’Italie qui a dévoilé son génie militaire et son charisme de meneurs d’hommes. C’est dans ce contexte que se décide la conquête de l’Egypte, pays dont la géographie aussi bien que les mœurs sont encore mal connues. Les ambitions et les intentions sont donc multiples et très diverses :
Pour le Directoire, le casus belli invoqué est simple : la mainmise sur la position géographique stratégique de l’Egypte permettra de morceler l’Empire ottoman, d’entraver la puissance anglaise en lui bloquant la route des Indes, et de restaurer le commerce français en Orient. Il s’agit aussi de porter secours aux négociants expatriés, qui seraient maltraités par les Mamelouks, et d’améliorer le sort des « naturels de l’Egypte ». Mais pour beaucoup d’observateurs, ce ne sont que des prétextes ; le Directoire voit surtout dans l’expédition d’Egypte l’occasion de se débarrasser d’un Général un peu trop ambitieux – et beaucoup trop populaire – à son goût. En envoyant Bonaparte en Orient, il espère minimiser l’influence du Général sur le pays. Loin des yeux, loin du cœur…
Napoléon aussi trouve également quelques motivations personnelles à prendre le commandement d’une telle campagne. Conscient qu’il est encore trop tôt pour saisir le pouvoir par la force en France, il rêve de consolider encore son prestige en accomplissant de nouveaux exploits militaires en Orient. « De nos jours, personne n’a rien conçu de grand ; c’est à moi de donner l’exemple. Je sais que si je reste, je suis coulé sous peu. Tout s’use ici-bas. Je n’ai déjà plus de gloire. Cette petite Europe n’en fournit pas assez. Il faut aller en Orient. Toutes les grandes gloires viennent de là » déclare-t-il à son secrétaire et confident Bourrienne. Le futur Empereur espère ainsi pouvoir marcher sur les traces d’Alexandre le Grand et de César, et être accueilli en héros à son retour.
Enfin, il convient de rappeler que la France a alors l’ambition de conquérir la fantasmatique Egypte des Pharaons depuis fort longtemps. Au siècle des Lumières, ce pays fascine tout autant qu’il intrigue et qu’il inspire. Il suscite dans l’opinion publique des sentiments ambigus : tantôt considéré comme le berceau de la civilisation, il est aussi décrit comme l’image vivante de la décadence. Laure Murat et Nicolas Weil reviennent sur ce contexte bien particulier dans leur ouvrage « L’expédition d’Egypte, le rêve oriental de Bonaparte » : « L’idée d’une expédition française en Orient n’a cessé d’être agitée, bien après la défaite de Louis IX à Mansourah qui, en 1250, signa l’échec de la septième croisade d’Egypte, et bien avant le déclenchement de la Révolution française en 1789. Dès la première moitié du 17ème siècle par exemple, un certain Isaac de La Peyrère suggère à Richelieu d’organiser le retour des juifs dans leur pays d’origine sous l’autorité du roi de France, prélude à leur conversion. Plus tard, le philosophe allemand Leibniz propose, dans un mémoire célèbre envoyé à Louis XIV en 1672, l’occupation de l’Egypte. D’une certaine façon, le projet d’expédition prendra forme sur une période de trente années précédant la conquête (1768-1798) ».



L’expédition se précise

La décision sans cesse repoussée d’envahir l’Egypte est cette fois remise au goût du jour par Talleyrand, qui prononce à l’Institut de France le 3 juillet 1797, quelques jours avant de devenir Ministre des Affaires étrangères, un « Mémoire sur les avantages à retirer des colonies nouvelles dans les circonstances présentes » : « Un des hommes de notre siècle qui a eu le plus d’avenir dans l’esprit, qui, déjà en 1769, prévoyait la séparation de l’Amérique de l’Angleterre et craignait le partage avec la Pologne, cherchait dès cette époque à préparer par des négociations la cession de l’Egypte à la France, pour se trouver prêt à remplacer par les mêmes productions et par un commerce plus étendu les colonies américaines, le jour où elles nous échapperaient ».
En correspondance avec Bonaparte, les deux hommes partagent la même vision d’une expédition en Egypte. Quelques jours après l’intervention de Talleyrand, c’est le Général qui enfonce le clou, en écrivant le 16 août une lettre au Directoire qui met en scène ses projets de conquête : « Les temps ne sont pas éloignés où nous sentirons que, pour détruire véritablement l’Angleterre, il faut nous emparer de l’Egypte. Le vaste Empire ottoman qui périt tous les jours, nous met dans l’obligation de penser de bonne heure à prendre des moyens de conserver notre commerce au Levant ». Mais le Directoire hésite encore à attaquer directement la perfide Albion, conservant le projet de débarquer sur les côtes britanniques pour porter une estocade finale et définitive au cœur même de la coalition anti-française. En février 1798, Bonaparte rend au Directoire un rapport défavorable à une invasion directe de l’Angleterre, notamment en raison des difficultés d’approvisionnement. Le 5 mars 1798, le pouvoir exécutif accepte finalement l’expédition d’Egypte, avec à sa tête le jeune Général Bonaparte, âgé seulement de vingt-huit ans.

Extrait Paru dans "Les Grandes Batailles de l'Histoire n°1"
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